Long Cours par Poul
Anderson
(The
Longest Voyage - Traduction de Michel Deutsch)
Ficion n° 186 - juin 1969
Après une longue éclipse dans
Fiction,
revoici, le glaive au poing, le viking de la science-fiction, le barde
des fjords stellaires, l'épique, le réactionnaire,
l'hyper-individualiste Poul Anderson.
L'enfant de Pennsylvanie, auquel un grand-père danois légua un prénom
étrange, a aujourd'hui 43 ans (nous sommes en 1969) et il y a 21 ans que son nom paraissait
pour la première fois au sommaire d'un magazine de S.F., en l'occurrence
Astounding.
Depuis, il a écrit beaucoup, beaucoup. Le précieux
Index to the S.F. magazines
nous donne un chiffre précis qui laisse rêveur: 175 nouvelles entre 1951
et 1965.
Il fut un temps, qui paraît maintenant bien lointain, où partisans et
adversaires d'Anderson s'empoignaient férocement dans le Courrier des
Lecteurs de
Fiction.
Les adversaires avaient sans doute des raisons de se plaindre puisque
l'auteur honni figurait au sommaire avec une régularité provocante. On
en jugera en consultant la table des récits parus. Que reprochaient-ils
à Anderson ? Ses thèmes, ses idées sous-jacentes que l'on retrouve en
permanence dans toute son œuvre et qui apparaissent nettement dans la
présente nouvelle, que l'on peut qualifier de « super-andersonienne ». A
savoir: le triomphe du courage et de la force individuelle face aux
idéologies, aux systèmes. Pour Anderson, c'est avec le poing, avec
l'épée, avec l'épieu que l'individu affronte l'univers. La première
qualité du héros andersonien, c'est la volonté de survivre, l'instinct
de conservation. Il ne se laisse pas arrêter par les questions, par le
doute. Quand la bataille est engagée, il la mène
jusqu'au bout. Découvreurs, forgeurs d'empires et forceurs de blocus
animent le grand opéra d'Anderson, forts de leur droit, de leurs armadas
d'astronefs. Et c'est bien là ce qui irrite certains lecteurs qui voient
se dessiner, au travers de l'épopée, le vilain masque du militarisme.
Dans une galaxie où un Simak établit la paix universelle par le
rayonnement des intelligences de tous les mondes, Anderson vient
apporter mille conflits, mille guerres qui se résolvent généralement par
la victoire du plus fort, du plus audacieux, du plus rusé. Les mondes de
tous les soleils sont autant de plaines et de savanes où recommence sans
cesse la lutte primitive pour se tailler un territoire, pour se
construire un village, une cité. De même que l'espace, le temps, dans
La patrouille du
temps
et les trois récits qui lui font suite (l'ensemble
ayant été repris aux éditions Marabout), est soumis au traitement
andersonien. Manse Everard, le Patrouilleur, n'est ni plus ni moins
qu'un policier qui fait régner la loi par tous les moyens. Dans un roman
plus récent,
The corridors of
time,
ce sont deux clans, les
Wardens
et les
Rangers,
qui s'étripent joyeusement dans tous les siècles.
Et puis, bien sûr, le nom d'Anderson figurait en tête de la liste des «
faucons » lors de la prise de position des auteurs de S.F. sur la guerre
du Vietnam (voir le numéro 175 de
Fiction).
Mais le véritable amateur d'Anderson ne s'arrête
pas à des considérations politico-idéologiques.
Pour lui, Anderson est, avant tout, le grand auteur épique du genre.
Héritier moderne de la tradition du Burroughs du cycle de Mars, d'Otis
Adelbert Kline, il occupe une position à part dans ta S.F. d'aujourd'hui,
celle d'un pur conteur d'aventures; c'est ainsi, d'ailleurs, qu'il se
définit lui-même. Une chose est certaine : la science-fiction lui doit
des récits mémorables. C'était une bien douce époque que celle où
Fiction
nous offrait des joyaux comme
Les parias.
Superstition, Le Peuple du Ciel, Le Peuple de la Mer, Le voyage
prématuré...
Gageons donc que beaucoup se réjouiront de ce
grand retour qui s'explique par la possibilité que nous avons maintenant
d'acquérir les droits des récits
d'Astounding, d'Amazing,
de
Fantastic,
etc.
Récemment, de toute façon, Anderson semble avoir
délaissé la nouvelle pour le roman. Il est permis d'espérer que, après
Barrière mentale
(paru dans
Satellite
numé- ros 1 et 2),
La route étoilée
(collection Satellite) et
Les croisés du cosmos
(Présence du Futur), les amateurs se verront offrir
en pâture d'autres romans d'Anderson. D'ores et déjà, l'année 70 verra
la parution au C.L.A. des trois volumes regroupant les aventures de Sir
Dominic Flandry, agent de la confédération terrienne qui apparaissait
dans
Pour la gloire
(Fiction
numéro 114).
Pour en revenir à
Long cours,
précisons que ce récit a paru dans le numéro de
décembre 1960
d'Analog (Astounding
new style). Nous le qualifions plus haut de «
super-andersonien ». En effet,
en plus du cadre (un monde
colonisé ayant rompu les liens avec la civilisation galactique) et des
personnages (de nouveaux
conquistadores),
la chute porte en elle toute la morale d'Anderson.
Ajoutons, sans rien en révéler, qu'elle paraîtra cruelle et frustrante
dans son implacable logique. |
C'est
Dans Les Yeux...par Randall Garrett
(The Eyes Have It - Traduction de Bruno Martin)
Fiction n° 196 - avril 1970
L'apparition
de Randall Garrett au firmament de la science-fiction n'a pas été saluée
par les acclamations qui marquent habituellement la révélation d'une
nouvelle étoile de première grandeur. Cela est dû. au fait que Garrett
se manifesta d'abord par une multitude de récits plutôt courts, et
publiés à peu près simultanément dans divers magazines : plutôt qu'une
étoile de première grandeur, son apparition évoque une pluie
d'étincelles. A partir de 1951, la signature de Randall Garrett se
rencontre en effet avec
régularité dans un grand nombre de périodiques, dont
Astounding Science Fiction, Space Science Fiction, Fantastic, Science
Fiction Quarterly, The Magazine of Fanta-sy and Science Fiction
et
Imaginative Taies.
Sur le plan de la quantité, aucun débutant n'avait
montré, d'emblée, une facilité comparable à la sienne, si ce n'est
peut-être Robert Sheckley. Sur le plan de la qualité, c'est une autre
histoire, tout au moins si l'on se réfère à James Blish.
Dans le recueil d'articles critiques qui est
paru, en livre, sous le titre de
The issue at hand
(et dont les textes sont pour la plupart repris
de fanzines où ils étaient primitivement parus sous le pseudonyme
de William Atheling jr), les jugements de Blish sur Garrett sont
fort sévères :
Mr. Garrett a continué à écrire, devenant le
plus infatigable co-auteur de récits de seconde qualité dans toute
la science-fiction (...) en même temps qu'il remplaçait Jones comme
réflecteur instantané des idées de Mr. Campbell car, contrairement à
Jones, il n'avait pas d'idées précises venant de lui-même et pouvant
gêner le processus
(cette dernière remarque se réfère à la
facilité avec laquelle Raymond F. Jones bâtissait des récits autour
d'une idée suggérée brièvement par John W. Campbell jr). Ailleurs,
Blish affirme que
Garrett a passé une bonne partie de sa carrière
dans ce qui semble
(à Blish)
être un effort délibéré en vue de gaspiller
tous ses talents à l'exception de son activité au travail.
James Blish mettait là le doigt sur un don
indéniable de son jeune collègue, qui est celui de la facilité. En
plus des récits de science-fiction publiés avec son nom, Garrett en
écrivit un certain nombre sous le pseudonyme anagrammatique de
Darrel T. Langart ;
il écrivit aussi avec Lawrence Janifer les
romans qui portèrent la signature de Mark Phillips et, avec Robert
Silverberg, ceux qui apparurent comme les œuvres de Robert Randall.
En dehors de la science-fiction, il a à son actif un ouvrage au
moins qu'on serait en peine de relier à ce domaine — une biographie
du pape Jean XXIII. Tout cela suggère assez clairement que Randall
Garrett n'appartient pas au groupe des auteurs faciles à classer.
Le récit que l'on va lire fait partie d'une
série qui a pour décor un univers parallèle dans lequel l'Histoire
n'a pas suivi le cours que nous lui connaissons. L'Histoire, telle
que l'imagine ici Randall Garrett, a bifurqué dans le Limousin, peu
avant la fin du XII' siècle. Richard Cœur de Lion n'est pas mort en
1199 au siège de Châlus, mais il s'est au contraire remis de ses
blessures et a encore occupé pendant vingt ans son trône. A sa mort,
la couronne n'est pas allée à son frère Jean sans Terre —
contrairement à ce qui s'est passé dans l'Histoire que nous
connaissons — mais bien à Arthur, fils de Geoffroy, un autre des
frères de Richard, plus âgé que Jean. Randall Garrett suppose que
les vingt dernières années du règne de Richard Cœur de Lion furent
dans l'ensemble heureuses, et que son successeur, Arthur, fut pour
sa part un grand roi. Depuis cette époque, l'Histoire de France et
celle d'Angleterre sont bien différentes de celles que nous
connaissons, et Randall Garrett en révèle adroitement plusieurs
aspects en développant son récit. Cependant, la particularité
essentielle de la Terre sur laquelle Lord Darcy mène ses enquêtes
tient à ce que la science y a beaucoup moins progressé que « chez
nous
».
En revanche, les sciences que nous qualifions
d'occultes
y
ont presque acquis petit à petit, des
caractéristiques qui les rendent exactes. Lord Darcy et ses
collaborateurs recourent largement à la magie pour traquer les
criminels. Et ils le font selon des règles que Randall Garrett a su
préserver de l'arbitraire. Même dans l'univers parallèle qu'il a
imaginé, les récits policiers gardent leur saveur — une saveur qui
reste aussi perceptible hors de cet univers particulier...
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