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			Le 
			Chant du Barde par Poul Anderson 
			(Goat Song - Traduction Michel Deutsch) 
			
			Fiction 
			n° 230 - février 1973 
			
       La 
			nouvelle que vous allez lire est présentée par Poul  Anderson 
			lui-même en ces termes :  En 1966 je participais à la 
			conférence des auteurs de SF de Milford, où Harlan Ellison présenta 
			sa nouvelle "Je 
			n'ai pas de bouche et il faut que je crie".
			
			
			En fait, il la rédigea sur place, au cours 
			d'une soirée où tout le monde avait bu et faisait du vacarme autour 
			de lui. Très impressionné, j'entrevis   dans 
			certaines des 
			techniques d'Harlan la possibilité d'écrire une toute 
			autre histoire, et avec son accord je les adaptai pour aboutir au 
			présent récit. Mon agent le vendit à l'époque à un de ces magazines 
			qu'on appelle "pour hommes », lequel se mit 
			aussitôt après à entrer dans une longue série de changements de 
			formules et de rédacteurs en chef, au terme de laquelle il 
			interrompit  sa  parution  sans l'avoir publié. Entre-temps, sans 
			que ce soit intentionnel bien entendu, Fred Saberhagen avait utilisé 
			le même thème de base ; et il était même sorti un roman historique 
			portant le même titre. Résigné, j'avais abandonné l'espoir de faire 
			quelque chose de ce texte. Mais récemment je suis tombé par hasard 
			sur le double de la copie dactylographiée, je l'ai relue et j'ai 
			conclu que l'histoire restait suffisamment différente pour être 
			publiable. Ed Ferman m'a fait le plaisir de l'accepter pour la 
			passer dans 
			F &SF. 
			J'espère que 
			ce plaisir sera partagé par les lecteurs. » 
			A ces lignes de l'auteur, nous ajouterons une information : au cours 
			de la remise des derniers Hugos, qui a eu lieu aux U.S.A. en 1972, 
			le prix de la meilleure 
			novelette 
			
			de l'année écoulée a été décerné à Poul 
			Anderson pour son récit 
			"The 
			queen of air and darkness", 
			
			paru en avril 1971 
			également dans 
			F & SF. 
			
			
			La 
			traduction française de ce texte figurera au cours des prochains 
			mois dans 
			Fiction.  | 
			
			 
			Langage Universel par H. Beam Piper 
			(Onnilingual - Traduction 
			Bruno Martin) 
			
			Fiction n° 235 - juillet 1973 
			
			
        
			
			
			Entre I963 et I965 les Ace Book, firent paraitre trois romans 
			de science-fiction par H. Beam Piper, et ces petits livres 
			comportaient la traditionnelle  notice 
			biographique concernant l'auteur. Les deux premières de ces notices 
			commençaient par la phrase : H. Beam Piper est assez énigmatique 
			lorsqu’il s'agit de ses coordonnées personnelles. Le début de la 
			troisième était différent : H.  Beam Piper est décédé soudainement 
			en novembre 1964 ; mais la suite n'apportait pas beaucoup de 
			précisions au lecteur. Lorsqu’une nouvelle portant la signature de 
			Piper apparaissait dans une anthologie, le compilateur de celle-ci 
			indiquait à  peu près invariablement, en présentant le récit en 
			question, que l'auteur de ce dernier était un homme discret quine 
			parlait guère de lui-même... 
			
			Pourtant, cet auteur taciturne apparut pendant dix-huit ans et demi 
			au sommaire d’Astound1ng science fiction, rebaptisé Analog au cours 
			de cette période. Son premier récit, Time and time again, fut publié 
			dans le numéro d'avril 1947, et sa signature se trouva au bas de 
			Down Styphon une année après le décès de Piper, dans le numéro de 
			novembre I965. Peu de temps après ce décès, John W Campbell le 
			rédacteur en chef du magazine, fit paraitre la lettre d'un de ses 
			lecteurs Marvin N. Katz, qui habitait dans la ville ou Piper avait 
			lui-même résidé, et qui fournissait quelques renseignements sur 
			l'écrivain. Ces derniers permettent de retracer certains éléments de 
			cette carrière si discrète. 
  
			
			
			H. Beam Piper était né a Altoona, une ville de Pennsylvanie située à 
			l'est de Pittsburgh, et il y avait travaillé comme policeman 
			(enquêteur, probablement) pour une compagnie de chemin de fer, le 
			Pennsylvania Railroad. Il commença à écrire de la science-fiction et 
			des récits policiers après la fin de la Seconde Guerre mondiale, 
			et.il abandonna le Pennsylvania Railroad en I956 pour se consacrer 
			uniquement à son activité littéraire. Il vécut a New York, puis à 
			Paris, pour revenir en 1957 aux Etats-Unis. Il s’établit alors dans 
			une autre petite cité de Pennsylvanie, Williamsport, son choix étant 
			motivé par le fait qu'il y comptait plusieurs amis, et aussi parce 
			qu’il avait prêté sa collection d'armes a une société d'histoire de 
			cette ville. Cette collection d'armes — il en avait rassemblé plus 
			de cent — semble avoir été son principal hobby: c'est un des rares 
			renseignements que l'on peut trouver dans les notices le concernant, 
			dans les diverses anthologies ou certaines de ces nouvelles furent 
			reprises. Marvin N. Katz, le correspondant de John W. Campbell, 
			mentionne en outre un grand intérêt pour tout ce qui touchait 
			l'Italie du XV‘ siècle. Marvin N. Katz n’était pas un ami de Piper: 
			simplement, une connaissance commune avait un soir amené celui-ci 
			chez celui-là, et Katz note que son invité montra d’aborcl une 
			certaine réserve, voire de la timidité, pour se révéler ensuite un 
			interlocuteur charmant, aimable, tranquille mais spirituel, et 
			pénétrant dans ses remarques. Quelques mois après cette visite, le 
			lundi 9 novembre I964, H. Beam Piper était trouvé mort dans son 
			appartement. Il s'était suicidé, en employant un des pistolets de sa 
			collection. Quelles étaient les raisons de ce suicide ? H. Beam 
			Piper ne semble 
			
			pas avoir été l'homme à se faire des ennemis menaçants. Il ne 
			possédait pas, non plus, de proches parents, et vivait apparemment 
			seul. Les explications avancées se rapportaient a des difficultés 
			financières. La chose n’est pas invraisemblable: Piper vivait de sa 
			plume et, 
			
			s'il était respecté et apprécié dans les milieux de la 
			science-fiction, il n'avait point atteint une véritable célébrité 
			auprès du grand public, pas plus qu'il n'avait signé d'œuvre ayant 
			connu le succès a travers une adaptation ultérieure, 
			cinématographique ou autre. Quelques mois
			
			
			plus tard, John W. Campbell apporta une information supplémentaire, 
			toujours dans Analog, à propos d'une question posée par un autre 
			lecteur. Il semble que l'agent littéraire de H. Beam Piper était 
			mort quelque temps avant l'auteur, laissant tous ses papiers, et ses 
			affaires 
			
			en général, dans un grand désordre. Il en était résulté, pour Piper, 
			une situation financière très difficile: selon Campbell, cela 
			produisit une profonde dépression morale chez l’écrivain, qui fut de 
			la sorte conduit au suicide. Il avait soixante ans. Il était donc, à 
			quelques 
			
			mois près, le contemporain de Clifford D. Simak, d'Edmond Hamilton 
			et d'Eric Frank Russell. 
			
			Le premier récit de H. Beam Piper que Campbell ait publié, Time and 
			time again, est une nouvelle qui relève presque du fantastique, en 
			ce sens que le temps y joue un rôle inexplicable scientifiquement ; 
			mais ce récit ne s'efface pas facilement de la mémoire du lecteur. 
			En I975, pendant la Troisième Guerre mondiale, un capitaine de 
			l'armée américaine, Allan Hartley, est gravement blessé au cours du 
			siège de Buffalo. On lui administre une dose de sédatif, et il perd 
			connaissance. Lorsqu'il revient d lui, il a rajeuni de trente ans — 
			et a fait un saut de trente ans dans le passe ;  il se retrouve, 
			gamin de treize ans, chez son père, avocat a Williamsport en 
			Pennsylvanie. Mais il a conservé tous ses souvenirs concernant ces 
			trente années qu’il a vécues, jusqu'au siège de Buffalo, ces trente 
			années qui ne se sont pas encore écoulées pour le monde, puisque la 
			date a laquelle il a rouvert les yeux est celle du 5 aout 1945. Les 
			Etats-Unis sont encore en guerre contre le Japon — mais plus pour 
			longtemps, puisque la première bombe atomique va être lancée sur 
			Hiroshima le 6. Que s'est-il passe au juste? L’auteur ne fournit 
			aucune explication définitive. Il présente simplement cette journée 
			d'Allan Hartley, qui parvient progressivement à convaincre son père 
			de la réalité de ce qui lui est arrivé. Le cours du temps peut-il 
			être modifié? Oui, car le jeune garçon parvient a empêcher un voisin 
			déséquilibré de tuer sa femme, alors que ce meurtre avait bel et 
			bien eu lieu en cet autre 5 août I945. Allan et son père échangent 
			donc des interrogations sur ce qui a bien pu arriver, parlant des 
			idées de J.W. Dunne sur le temps, et de celles de G.N.M. Tyrrell sur 
			les sciences psychiques. Et Allan décide de faire tout ce qu’il 
			pourra pour éviter cette Troisième Guerre mondiale dont il est 
			inexplicablement « revenu» : utilisant ses connaissances des trente 
			années supplémentaires qu’il a vécues, il va édifier une fortune qui 
			permettra a son père de se lancer dans la politique et d’éviter les 
			erreurs des dirigeants qu’Allan a vus a l'œuvre au cours de ces 
			trente années qu'il est seul à avoir vécues. Résumée de la sorte, la 
			nouvelle parait sèche et superficielle. Mais la narration de 
			l'auteur lui confère une teinte de vraisemblance d'autant plus 
			satisfaisante que le passage progressif de Hartley père de la 
			stupéfaction a l’acceptation y est remarquablement marqué. Egalement 
			réussies, les interrogations intérieures du protagoniste permettent 
			au lecteur de partager son problème : comment faire admettre par le 
			père cette stupéfiante translation temporelle, alors que l'aspect 
			physique d'Allan ne laisse apparaitre aucun changement depuis la 
			veille? Ce que Piper présente sur la scène est relativement simple 
			et dépouillé, mais plausible en fonction de l’événement 
			extraordinaire qui est au caeur de sa nouvelle. Les lecteurs 
			d'Astounding furent d'ailleurs sensibles a cette qualité, car ils 
			placèrent Time and time again en tête des nouvelles de ce numéro 
			d'avril I947, lors du référendum régulièrement organisé  par 
			Campbell. C'est ta une consécration rarement accordée à un auteur 
			nouveau. Dans ses récits ultérieurs, H. Beam Piper plaça 
			généralement davantage d’action, mais Time and time again présentait 
			d’emblée au lecteur son intérêt pour les problèmes du temps. Et 
			aussi, de façon très accessoire, son gout de localiser ses récits 
			dans un décor familier: il lui est arrivé, par la suite, de raconter 
			des conflits qui se développaient dans la région de Pennsylvanie ou 
			il habitait, mais dans des univers parallèles. Une année plus tard, 
			en avril I948, Astounding publiait He Walked Around the Horses, 
			nouvelle exploitant précisément ce thème des univers parallèles pour 
			expliquer une disparition mystérieuse mentionnée par Charles Fort 
			(celle d’un citoyen anglais qui voyageait sur le sol prussien, en 
			1809). C'est un récit dont la construction, qui utilise uniquement 
			la forme épistolaire, est un petit chef-d'œuvre de graduation, 
			couronné par une savoureuse chute finale. Ce fut au cours de cette 
			même année I948, dans le numéro de Juillet, que parut la première 
			nouvelle de H. Beam Piper traitant de la police du paratemps ». 
			Cette police est une organisation qui est chargée, en quelque sorte, 
			de la surveillance entre les univers parallèles, de façon a empêcher 
			toute interpénétration entre ceux-ci. L’intervention de ses agents 
			s'effectue, par exemple, lorsque quelque personne passe d’un univers 
			dans un autre, ou lorsque des évènements anormaux risquent d'attirer 
			par trop l'attention, dans l'un de ces univers, sur ce qui est en 
			train de se passer dans l'un des autres. La disparition du voyageur 
			anglais de He Walked Around the Horses eut ainsi pu fournir un 
			excellent motif d’intervention aux agents du paratemps, mais cette 
			nouvelle ne fait pas partie du cycle, ayant probablement été rédigée 
			avant que Piper mette au point le thème de celui-ci. Pour 1’amateur 
			de science-fiction qui ne lit que la langue française. H. Beam Piper 
			est un écrivain dont la découverte entière reste encore à faire. 
			Bien que n'ayant pas écrit beaucoup, Piper est un auteur important a 
			cause de la qualité et du fini de ses meilleurs récits. Et aussi a 
			cause du bonheur avec lequel il a approfondi des thèmes 
			dissemblables. Ainsi, le récit que l’on va lire appartient au 
			domaine que l’on appelle habituellement science-fiction ou 
			SCIENCE-fiction — en mettant l’accent, d’une manière ou d’une autre, 
			sur la première composante de ce terme. D’une part, H. Beam Piper y 
			brosse un tableau fort vraisemblable de ce que pourra être, dans un 
			avenir plus ou moins rapproché, l'activité des archéologues qui 
			étudieront une planète ou la vie a existé, puis s'est éteinte. 
			D’autre part, et 
			
			surtout, l’auteur y pose un problème scientifique précis : comment 
			peut-on espérer déchiffrer le martien écrit, un langage disparu 
			quelques dizaines de millénaires avant que les Terriens découvrent a 
			leur tour l'écriture ? , 
			
			Il ne faut pas espérer découvrir l’équivalent d’une pierre de 
			Rosette, bien entendu. Et d'ailleurs l’existence d'un document 
			bilingue n'est pas indispensable, même sur Terre. Michael Ventris 
			n'est-il point parvenu, il y a plus d’une quinzaine d’années, a 
			déchiffrer le linéaire B de la civilisation mycénienne en étudiant 
			des tablettes écrites exclusivement en cette langue? Et n’a-t-il pas 
			surpris le monde archéologique en révélant que ces caractères 
			presque cunéiformes servaient d transcrire une forme primitive de la 
			langue grecque? 
			
			ll n'y a aucun génie de la famille de Ventris dans le présent récit, 
			il n'y a qu'une linguiste sympathique par sa conscience et son 
			appli- cation. La clé que H. Beam Piper lui fait découvrir pour 
			comprendre la langue martienne est aussi satisfaisante par ses 
			possibilités que par sa logique.  
			
			
			Demètre IOAKIMIDIS   |